A MON PERE
La consigne de l’Atelier d’écriture : une illustration montrant un
homme assis dans un divan, et à côté de lui, une adolescente posant une
main sur son épaule. Nous devions improviser ce que le portrait
évoquait pour nous
X
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Je n’ai pas pu te poser de questions, celles de toute adolescente à son père. Je n’ai pas
pu t’entourer de mes bras, ni même poser ma main sur ton épaule
Je n’ai pas pu t’aimer vraiment. T’ai-je inventé ? Non. Tu étais
là. Si peu de temps ! Assez pour que je connaisse ton visage et
ton sourire et aussi le silence qu’on m’imposait pour ne pas troubler
ton sommeil.
Je n’ai su de toi qu’une douceur diffuse, des absences aseptisées, des retours épuisés, le lit, le cimetière…
Mes frères et sœur t’appelaient « Père ». Ils étaient des
jeunes gens de vingt ans, ils t’adoraient. Moi, je disais « Papa » et
tu mettais sur mes cheveux une main de tendresse.
Je ne sais rien de toi, à part ce que les autres m’ont dit.
Grandir sans père oblige à devenir forte, pour cette maman écrasée que
plus rien n’intéressait. Grandir sans père oblige à se créer un monde
imaginaire, un peu exclu, où l’on bâtit des château de sable, puisqu’on
est étrangère au milieu familial qui se préoccupe surtout,
essentiellement, de la veuve. C’est être condamnée à ne pas poser de
questions et à chercher seule les réponses.
Longtemps, dans la poche de mon manteau d’écolière, j’ai serré
dans mon poing la petite poupée que tu m’avais donnée. C’était ma façon
aveugle de t’aimer. Personne n’en a rien su.
Et quand maman en pleurs devant mon mutisme de fillette me
reprochait : « Tu n’aimes pas ta maman », je ne répondais rien. Elle
souffrait dans la démesure. Je souffrais dans l’ignorance.
Je ne t’ai pas idéalisé. J’ai cherché sur tes photos quel homme
tu étais. Je t’ai trouvé bon, courageux, une lueur au fond des yeux.
J’en ai créé ton image.
Et mon souvenir…
LORRAINE