LE PERE NOÊL AIME LES CHATS...
Il neige. Milord est derrière le carreau, perplexe ; il guette lui aussi l’arrivée du Père Noêl et apparemment, se pose la question : « Vont-ils sortir par ce temps-là ? ». Lui ne s’y hasarderait pas, je le sais. Mais à quoi bon se poser des questions oiseuses : le Père Noël est là, debout devant nous, sur le versant nord du toit.
- Prêts pour la promenade ? dit-il avec enjouement.
- Pas moi, répond Milord d’une voix profonde, mais allez-y vous deux, je garde la maison...
Stupéfaite, bouleversée, ma voix s’étrangle dans ma gorge : Milord parle ! .. C’est toujours Milord, pourtant, impassible, son regard énigmatique posé sur moi, le port majestueux...
- Mais, mais...
- Laissez donc la parole à Milord, gronde doucement le Père Noël. Pour une fois qu’il peut s’exprimer...
- Très juste, Père Noël, voilà dix ans que je me tais !
Je suis sidérée. Comment ose-t-il ? Lui, se taire ? Jamais, c’est un chat miauleur, il m’interpelle longuement quand il veut manger, il maugrée à petits cris dans la salle de bain quand il mesure son élan pour sauter sur le séchoir où mon linge pend sur les fils, et sans vergogne, titubant mais équilibriste, il va d’une corde à l’autre, sans jamais tomber, l’œil fier et déterminé.
- Mon enfant, dit le Père Noël (c’est un tic chez lui, je ne suis plus une enfant, je...), mon enfant, reprend-il avec une ferme douceur, c’est aujourd’hui la fête des chats, ils ont tous droit à la parole. Entendez-vous dans le jardin voisin, ce dialogue ?...
J’entends faiblement d’abord, puis de plus en plus clairement, deux dames-chat (je suppose, en tous cas...) s’entretenir justement de mon Milord :
- Ah ! il a une de ces classes ! arpège la première. Quand il se découpe sur le ciel, quelle allure ! Mais moi, ici, j’habite trois étages trop bas ! Il ne sait même pas que j’existe.
- Je l’ai croisé une fois, répond une voix féminine (de chatte, pas d’humaine), il s’était aventuré sur le toit de l’imprimeur, j’y étais aussi, mais mon maître l’a chassé...Quel dommage !
Milord se rengorge. Ses yeux luisent. Il fait son coquet, passe la langue sur sa patte véloce et se lisse les moustaches. Je suis éberluée. Père Noël a le sourire.
- Et maintenant, en voiture ! lance-t-il joyeusement.
Il me tend galamment la main, Milord (est-ce possible !...) saute d’un bond dans le traîneau et je m’aperçois qu’il a un petit manteau rouge poudré à frimas, et un bonnet qui lui tient chaud aux oreilles.
Je balbutie :
- Père Noël, où allons-nous ?...
- Fouette cocher, dit-il joyeusement.
Et nous nous ébranlons dans le ciel, avec un Milord bavard et vêtu, tandis qu’un chœur de conversations félines monte, monte et s’amplifie , tout le long, tout le long, tous le long du chemin...
LORRAINE