LA CHAMBRE JAUNE
Raconter, en vingt lignes environ, une nuit passée ailleurs et dont on
se souvient.
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J'étais en vacances chez ma tante et le soir, je montais vers la chambre jaune avec un plaisir mêlé d’appréhension. Plaisir grâce à l’escalier dont le velours étouffait les pas, plaisir de tirer les tentures dorées sur le jardin d’été, plaisir du couvre-lit et du tapis plain assortis qui m’apportaient une douceur de miel indicible. Là, seule, je me sentais reine. J’avais 9 ans, 9 ans endeuillés par la mort récente de mon père, 9 ans qui tentaient de vivre sans pleurer.
Appréhension aussi, oui. Le roman à la mode « Le Mystère de la chambre jaune » se diffusait chaque soir à la radio et parmi les grands, j’écoutais. La radio mimait les ombres menaçantes, adoucissait la voix quand on parlait d’amour, devenait haute et inquiète lorsque l’auteur laissait entrevoir le meurtre possible, la pendaison, l’enfermement, l’enfermement surtout. On se quittait dans l’angoisse, et je pénétrais dans « ma » chambre jaune tout imprégnée d’une menace diffuse, que précisaient les bruissements des arbres de juillet.
Sous les draps, je réapparaissais pour étudier, l’œil soupçonneux, les ombres glissantes, la
progression lente d’un personnage bossu sur le mur en face, le long soupir venu d’où, Seigneur, venu d’où ?.. La lune jetait un œil par la croisée
entrouverte, j’avalais
précipitamment mon bonbon du soir, puis, épuisée, m’endormais enfin, emportée malgré moi vers un lendemain
dont, à l’avance, je savourais l’horreur recommencée
jusqu’à la fin du feuilleton.
LORRAINE