MOI, TEMOIN...
La consigne dictait: "Vous êtes dans la file d'une banque, endossez un personnage à votre choix qui sera témoin et racontez"...
Le type devant moi a un drôle d’air. Il piétine. Il lorgne
la caissière comme s’il voulait lui faire du plat. Mais ça
m’étonnerait : c’est une mémère dans la cinquantaine, forte, avec de
gros bras nus et un visage rougeaud. Lui, par contre, est blond à
cheveux longs. J’ai vu son profil quand il a regardé avec
impatience le petit bonhomme qui joue par terre avec son auto. Pas mal
ce profil, mais crispé. Qu’est-ce que ça peut lui faire cet
enfant qui s’amuse ? Il y a des gens, quand même !...
La banque a raison d’exiger une distance d’un mètre entre
le client au comptoir et le suivant ; pour la discrétion, c’est
mieux. C’est le tour du type. Je reste à ma place, s’il
vient chercher du fric, ça ne me regarde pas. Moi, je viens en
déposer. J’ai reçu un petit cadeau d’Arthur, qui m’a rendu visite
hier. Je ne reçois que lui. Avant, j’avais deux ou trois
pratiques, mais ça devient fatigant, à la longue. Alors, comme Arthur
est bien dans ses papiers et qu’il aime disons…ma compagnie, je me
limite à lui. Maintenant, j’ai l’air d’une dame entre deux âges,
bien de sa personne et habillée avec goût.
Qu’est-ce qu’il a, ce type, à traîner comme ça ? Ah ! je comprends, il
y a eu un changement dans le personnel, ce n’est plus la matrone qui
est au comptoir, mais une jeunette un peu timide, me semble-t-il.
Qu’est-ce qu’elle a ? Elle fait « Oui…oui… » de la tête et farfouille
dans le tiroir-caisse. Je penche un peu le cou, il ne me dit rien qui
vaille, ce garçon, sa jambe droite tressaille, décidément il n’est pas
normal, il a une façon d’attraper son argent…Son argent ? ..L’argent de
la banque, oui. Je reste là, sidérée, souffle coupé, il tient un
révolver, c’est un meurtrier en puissance, je vais crier, non, il vaut
mieux pas, les autres n’ont rien vu, enfin je le pense…
Ciel, je mévanouis !...
LORRAINE
Illustration:www2.ac-toulouse.fr/