DON D'ENFANCE
J’invente un conte de fées à raconter aux petits enfants et je
lui donne tous les rêves de jadis, les escaliers qui marchent et
s’arrêtent sous les balcons qu’on voudrait escalader,
les maisons peintes en or et tapissées de miroirs, les oiseaux bavards,
les lumières vivantes. Je fais dire aux portes « Je n’ouvre
jamais » et je jette un petit garçon de la terre en plein monde
magique. Je suis riche de tous ces trésors, j’ai de la peine
quand il s’égare dans la forêt et je connais son émerveillement quand
le Ver Luisant devient un phare.
J’habite un monde de petits êtres où chacun a sa chanson, je
visite des palais où, à mon gré, les tasses sont en pétales de roses et
les lustres en rubis. Une petite voix chuchote dans les fontaines
et je sais l’écouter et m’en rafraîchir. Je prends alors ma fille
par la main et la mène dans cet univers qui demande beaucoup de foi ;
elle m’y suit fidèlement sans se troubler et me parle de Poucet comme
s’il était de ses intimes.
Elle sait qu’il a un chapeau et des bottes et me révèle parfois des
choses que j’ignorais moi-même, et qu’elle sait par ce sens de
divination qu’ont les enfants et les poètes. Nous nous entretenons
longuement du Chat, un familier, et de la Cloche, qui sonne si souvent
et à tant de clochers.
Nous savons sur les fleurs des choses que nous ne répéterons pas
et sur notre fenêtre, la pluie ne pleure pas, elle fredonne. Quand
vient le soir et que ma petite fille dort, je crois que l’enchantement
est fini, mais l’horloge me semble un nain qui marche à pas rapides et
je ne puis m’empêcher de lui sourire comme à un complice.
J’ai peut-être retrouvé le don d’enfance, celui qui rend crédule
et puéril. Balivernes ! diront certains. Moi, j’écrirai « Bonheur »,
tout simplement.
GARANCE