LA CHAPITEAU
(Texte écrit d'après une photo montrant un chapiteau qu'on démonte.)
X
C’est fini. Le chapiteau a perdu son linceul. La
fête a éteint les lampions. Rien. Il ne reste rien. Pas un
parfum de poudre de riz éventé, pas un écho de ces rires
paillards quand la danseuse du ventre a agité ses seins et ses
hanches. Rien, vous dis-je. La nuit est sombre.
Le squelette de poutres entrecroisées repose pesamment dans le silence.
Une fête, c’est quoi ? Des gens contents,
peut-être même heureux pour quelques heures. Une foule, ça
réchauffe. La musique tourbillonne par-dessus les têtes,
lance des serpentins, bat la mesure, entonne un
couplet, un refrain qu’on déforme à qui mieux mieux. Sans
importance !
Tous les gars du village sont venus. Les filles d’ici et
du village voisin aussi, les belles et les autres, celles
qui dansent et celles qui font tapisserie. Si personne
n’invite, elles se décident et, entre laides,
tournent par deux au milieu de la salle. La plus hardie crie
soudain : « Changez ! » et la voilà dans les bras du mec le plus
costaud qui l’accepte parce qu’il faut bien.
Au comptoir, ceux qui ne dansent pas
s’agglutinent. Ils racontent des blagues et rient en se tapant
sur les cuisses. Des retardataires tentent d’entrer, la
préposée compte les sous et leur flanque sur le dos de la main le
cachet qu atteste qu’ils ont payé.
Le chapiteau partira demain. D’autres amours
l’attendent, il est la promesse des aveux, des
rencontres, des serments éphémères, des chagrins
cachés, des espoirs déçus et de toutes les détresses dont il se
moque, lui qui n’a pas de cœur.
LORRAINE
ILLUSTRATIONS: www.mairie-quimper.fr
"Bal au Moulin de la Galette" - tableau de Renoir