L'EMOI INCOMPARABLE DU DESIR
- Cinq minutes de pause, décrète Monsieur Bob, sanglé dans
son veston strict, le geste large, le sourire parcimonieux.
Elle est du côté des femmes, Vladimir du côté des
hommes. Face à face, séparés par la piste, ils s’observent.
Qui va inviter qui ? Au cours de danse, c’est l’usage
après la pause, le choix est libre. Ensuite, quand la musique
s’arrête, chaque garçon fait un pas à droite et enlace la cavalière
voisine pour la danse suivante. Ca c’est la règle.
Aline tremble. S’il ne venait pas, si un autre, plus
rapide, l’entraînait aux premières mesures ? Il est interdit de refuser
! Aline sent l’angoisse poindre. Pendant la première partie du cours,
il est resté assis, en habitué, bavardant à voix basse avec Mme Bob.
Aline sait qu’il est Russe, s’appelle Vladimir et appartient au cours
de 3ème année. Violette et lui ont gagné en couple le premier
prix national de danse de salon l’hiver dernier.
« Il ne devrait pas être ici, au cours de 1ère. Il ne devrait pas être… »
- Mademoiselle…
Il s’incline. Il l’enlace. Ses longues mains de
femme l’entraînent, des mains élégantes dont le contact la fait frémir.
Au creux de la taille, au creux de la paume, elle ressent l’émoi
incomparable d’être emportée, aimantée, désirée. La valse lui
tourne moins la tête que ce regard slave qui l’hypnotise . Une
seule danse…Et puis, n’importe quel garçon de 1ère lui marchera sur les
pieds en s’excusant..
- Je veux vous voir, dit Vladimir à son oreille.
- Où ?
- Dehors. J’attends près de ma voiture.
Les doigts effleurent la taille d’une légère caresse, serrent la main affolée d’une tendre poigne.
Dans le bois, le lendemain matin, à moitié cachée par les
buissons, on a retrouvé Aline, les yeux ouverts dans une ultime
stupéfaction. La trace de mains fines autour du cou a d’abord
trompé les enquêteurs : « Le meurtrier serait-il une femme ? »..
On n’a jamais retrouvé Vladimir.
LORRAINE
Illustration: "Danse à Bougival" - (Renoir)