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ECLATS DE PAROLES
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ECLATS DE PAROLES
23 avril 2007

NEZ EN MOINS...



 
aplustard2   Nous  sommes sept à table. L’attachée de presse a savamment disposé les convives. La journaliste d’ "Aujourd’hui" à côté du directeur de la firme « Fragrances », moi, rédactrice au « Départ » à droite du « Nez », elle-même à sa gauche et deux jeunes conseillers entre nous. La chaleur lourde de l’été débutant accable les moins sensibles malgré une savante aération.

    Je savais que je m’ennuierais. Ce genre de dîner de presse est souvent source de migraine.  Déjà dans le métro j’appréhendais vaguement ce déjeuner où nous ferions semblant d’écouter passionnément la naissance d’un parfum.  Sur la plate-forme, je me cramponnais à la barre centrale pour amortir les heurts qui me lançaient immanquablement contre le ventre rebondi et confortable d’un type en débardeur et jeans déchiré aux genoux. Il recevait mon "Pardon !" avec un bon sourire, que je lui rendais, un peu grimaçante.  Je m’étais levée barbouillée ce matin, vaguement nauséeuse et mes deux filtres coup sur coup m’avaient juste donné ce rien de réconfort qui m’aida à m ‘habiller.

    En arrivant à l’hôtel Métropole, le va-et-vient des touristes me donna ce léger vertige qui précède les heures difficiles.  Mais quoi !  C’est le boulot et je n’imagine  pas un instant faire faux bond à Marie-Cécile qui reçoit en exclusivité pour « Aujourd’hui » et « Le Départ » quatre professionnels français convaincus de l’importance de leur mission.

    A mon accoutumée, je suis arrivée sept minutes à l’avance.  J’ai tellement l’angoisse du retard que je m’amène toujours trop tôt.  Ce qui n’est pas mieux !

    Bref, nous mangeons.  Le Nez m’assomme.  Je fais semblant de prendre des notes, le bloc sur un coin de table, déposant et reprenant mon stylo entre deux bouchées.  Je sais que, de toute façon, ces Messieurs ne nous apprendront rien d’autre que ce qui est amplement détaillé dans le dossier de presse.  Marie-Cécile me regarde avec un peu d’inquiétude :

    - Ca va, Claire ? me souffle-t-elle.

    Mon « Oui » de la tête semble la convaincre et elle continue à écouter religieusement les propos de son voisin.  Sur l’étagère devant moi, sept urnes d’albâtre épurent de leur forme ce pan de mur.  J’en compte huit quand un sursaut de bon sens  me ramène à la réalité : elles sont sept, pas une de plus.

    Stop à la défaillance, Claire ! Je me pince furieusement la cuisse 1816_Martiniqueà travers ma jupe.  Le Nez m’explique comment mélanger l’ylang-ylang, la rose, le jasmin, ce rien de musc qui rend l’émanation si diluée, si fluide, si délicate.  Je regarde son nez : il est quelconque, ni particulièrement beau, ni particulièrement laid.  Je me demande s’il l’a assuré mais je n’ose poser la question.  A vrai dire, il me fascine et l’homme doit s’en rendre compte, car il sourit enfin (jusqu’ici nous étions le sérieux incarné) et se risque à une banalité sans danger, entendue maintes et maintes fois :

    - Vous faites un beau métier, Madame.

    Feignant la confusion (j’ai l’habitude !), je réponds ce qu’on attend de moi :

    - On dit que c’est le plus beau métier du monde…

    - Le mien aussi, répond-il ,est le plus beau métier du monde.

    Voilà.  Nous nous sommes engagés sur le chemin rassurant des âneries. Je n’ai pas faim.  Pas soif non plus, mais le garçon veille à nos verres et les remplit à heure et à temps.

    La journaliste d’"Aujourd’hui" me lance un coup d’œil saturé ; elle emmagasine les propos du directeur de « Fragrances » avec la même avidité que moi.  Je remarque son collier, un beau bijou mexicain auquel pendent sept breloques de couleurs diverses ressemblant à des têtes d’Indiens.  Je me lèverais bien  pour y aller voir de plus près, mais quelque chose en moi répète : « Non, ça ne se fait pas, voyons, ça ne se fait pas ».. C’est le moment où, oubliant son devoir, le "Nez" interroge :

    - Et ce soir, que faites-vous ?

    Ce soir ? Mais… Sans doute me fourrer au lit très tôt et… Au moment de le lui dire, je réalise que c’est inconvenant. Ou plutôt non:  inopiné et dangereux.  Car je viens d’éprouver (non, je ne me trompe pas…) l’effleurement délicat et rapide d’une chaussure sur mon escarpin. Un faux mouvement, peut-être ? Une crampe soudaine déclenchant le soudain étirement du mollet ? Allons, Claire, ne fais pas semblant, tu sais très bien qu’il en est au début des manœuvres. Quatre Français à Bruxelles pour deux jours, qu’est-ce que vous croyez qu’ils cherchent ? 

    Je me pince une deuxième fois la cuisse. Un peu plus fort. La journaliste d’"Aujourd’hui" a déposé définitivement son stylo et l’air concentré, vide son verre à petits coups. Marie-Cécile ne converse plus qu’avec son voisin de gauche. secretaire_4 Elle a compris que le Nez a trouvé à qui parler.

    Il en est aux propos habituels :

    - Ma soirée est libre, je connais mal Bruxelles.  Seriez-vous assez gentille pour me servir de guide ?

    Son œil complice insiste.  Son pied aussi.  J’ai envie de lui lancer au…nez :

    - Mais non, je ne suis pas gentille.  Mais oui, j’ai envie d’aller dormir tôt, mais seule !  Et ôtez votre bottine de la mienne, je vous prie !

    En fait, je ne dis rien.  Avec la maturité qui me caractérise, je me lève dignement (du moins, c’est ce que je crois), me dirige vers les lavabos et trempe mes mains dans l’eau froide.  Un bon moment.  Pour prendre un peu d’air, je me glisse jusqu’à la sortie.  Le va-et-vient de la porte battante accentue mon tournis.  Un car déverse ses touristes irlandais sur le trottoir. Certains portent des chapeaux de papier aux couleurs de leur pays.  Sept parmi eux vident des bouteilles de bière à même le goulot.  Je vais de l’avant, leur flux me repousse à l’arrière.  J’ai l’impression de sombrer.  Je perds connaissance.

    Je me réveille dans un salon privé du Métropole.  Un homme jeune et rassurant me tend un verre d’eau.

    - Je suis Xavier Lenoir, le chef de sécurité de l’hôtel.  Votre amie termine avec ces Messieurs.  J’ai dit que je vous reconduirai chez vous.

    Un long sourire intérieur me détend soudain : Xavier Lenoir vient d’entrer dans ma vie.

    Le dîner raté de m’empêcha pas de faire correctement mon métier. J’écrivis un excellent article sur « Fragrances » et ne cachai pas mes sources, elles venaient du Nez lui-même.  L’affaire était close.

    Quelques jours plus tard, le Nez m’envoya une lettre de remerciement et un flacon du tout nouveau  parfum «Source de Chance ».

LORRAINE

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Commentaires
L
Disons plutôt une histoire dont tout le début est vrai, jusqu'à la syncope. Rassure-toi, je m'en suis remise! C'est un de ces incidents de la vie. Et quelquefois, cela m'amuse de les raconter.<br /> <br /> Bonne journée, Lecouret
L
c'est joliment dit. une "histoire" vraie ? sans doute, piquée à tes souvenirs foisonnants.<br /> tu vas mieux, depuis cette soirée ? :-)<br /> comme quoi les sources du bonheur prennent parfois, je dirais souvent, des chemins inattendus, et quel bonheur.
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