LE DAVID DE MICHEL-ANGE
(D'après une illustration tirée au hasard, nous devions inventer
une courte nouvelle. L'image représentait une femme au visage amer,
assise sur son lit; par la fenêtre on apercevait les toits de Florence.
J'en ai fait ce récit.)
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Assise sur son lit d’hôtel, elle ne regarde rien, sinon
son passé. La bouche marquée d’une ride d’amertume accentue
l’angle d’un visage qui a perdu toute jeunesse. Les arches du Pont
Vecchio enjambent l’Arno de leur impassible voussure, le dôme de Ste
Marie des Fleurs s’arrondit dans la lumière rose, le matin de
Toscane pépie, le ciel entre par la fenêtre et Carla se souvient.
Elle est dans la Galerie de l’Académie, pour voir le David de
Michel-Ange. Il est là, en pleine lumière, superbe, très
entouré. .Carla baisse les yeux : elle a 18 ans.. En 1955,
c’est difficile pour une fille d’être jeune et jolie, même devant
Michel-Ange, surtout devant Michel-Ange. Mais Carla cherche dans
les yeux de la statue ce qu’elle est venue chercher ici : le regard
mesure fermement le Goliath invisible qu’il affronte, son visage décidé
a pesé le péril et l’accepte. David tient d’une main sûre la
pierre que lancera la fronde. Carla aime la décision et
c’est cette décision qui l’a menée seule à Florence, chez une tante qui
y demeure.
Des touristes vont et viennent, elle suit la foule et s’arrête
dans une autre salle où Botticelli offre à sa surprise attendrie une
toute jeune vierge blonde tenant l’Enfant en un geste d’abandon.
A-t-elle vingt ans, cette jeune mère à la fois si enfantine elle-même
et si aimante ? Carla s’attarde. Comme s’attarde ce
visiteur, italien, probablement, qui repart d’un pas mesuré quand elle
quitte la salle, puis le musée.
Est-ce le hasard qui les rassemble à nouveau, en cette
pizzeria où ils sont seuls et que sonnent des cloches à tant d’églises
voisines. Florence a tant de clochers et le jeune homme tant de
politesse ! Il est à la table voisine ; il s‘approche
courtoisement et: «Puisque nous sommes seuls ici, dit-il, pourquoi ne pas joindre nos
solitudes ? ». Et il montre la table où, à deux, ils prendront un
rafraîchissement.
La Carla d’aujourd’hui soupire. Tonio fut parfait pendant
cinq jours, les cinq jours qui lui restaient avant de rentrer en
France. Il avait tout promis : écrire, venir très
vite, l’épouser, puisqu’il l’aimait ! Il l’aima chaque nuit.
Il la conduisit à la gare., l’embrassa avec effusion, disparut dans le
lointain. Un lointain si lointain qu’il n’en revint jamais.
Amoureuse, flétrie, désespérée, définitivement seule, Carla
revient aujourd’hui en voyage du 3ème âge dans cette Florence qui vit
naître et mourir son seul amour.
Elle n’ira pas voir le David de Michel-Ange.
LORRAINE
Illustration: David - (www.historel.net)
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