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ECLATS DE PAROLES
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ECLATS DE PAROLES
18 septembre 2008

LE PETIT BAL D'ETE

    Il a franchi le fleuve dans la barque du passeur. Les rames frappent l’eau en cadence. Sera-t-il à l’heure ?

    La Meuse suinte d’ennui. L’homme va dans la pluie oblique qui gifle les rives et glisse entre les pavés, jusqu’à la rigole.

    Ellle avait dit : « De l’autre côté de la Meuse,  « Au bon coin », vous voyez où ?
 
    Il trouverait bien. L’important, c’est la revoir. La revoir telle qu’hier au bal du village où,  arrivé le matin, il s’est rendu. Un de ces petits bals d’été en robes à fleurs où l’on paie sa dîme à l’entrée. Un cachet sur la main prouve qu’on est en règle et permet, entre deux danses, de ressortir et de rentrer ensuite sans ennuis.

    Odile est là, près du montant de l’immense tente déployée pour la fête. Odile sirote une limonade. Son amie boit une sorte de cocktail vert à l’aide d’une paille. Il ne compte pas danser, il vient pour tuer une heure, sans plus. Sur la piste les couples tournoient. Qui est ce quidam à béret noir ? Assez rebondi, un peu claudiquant, il se dirige  vers Odile. Elle fait non d’abord de la tête, souriante mais semble-t-il un peu crispée. L’autre insiste, la prend par la main, tandis qu’autour d’eux des garçons hilares se poussent du coude.

    - Mademoiselle, vous n’allez pas refuser à Paul qui vous invite si gentiment ?

    Non, elle ne refuse pas. Il le voit de face maintenant, le cavalier balourd qui se dandine sur la piste. C’est le simple du village, le béret jusqu’aux sourcils, écarlate, tandis que les autres pouffent.

    Odile se laisse mener, ils piétinent le sol sans cadence, les gens lui font un clin d’œil, tout le monde connaît ce Paul qui ne veut plus la lâcher.

    Alors, comme la musique reprend, le voyageur s’approche. Courtois, presque impérieux, il prononce :

    - Mademoiselle, je vous en prie…

et l’entraîne à son tour sous les lumières de couleur qui font une farandole au plafond.

    Paul reste coi, surpris, puis en colère.  Il veut reprendre Odile, inaccessible soudain, tandis que ses copains, ennuyés, tentent de le calmer. Et l’entraînent dehors.

    - Je m’appelle François, dit le voyageur à Odile.

    Et plus tard, à la fin du bal, ils conviennent de se revoir. « De l’autre côté de la Meuse, « Au bon coin ».

    La rive est déserte. L’averse chargée de brume arrose des maisons lépreuses, le chemin qui va vers l’écluse, ce bourg perdu dans l’infini.

    « Au bon coin » semble fermé. François frissonne un peu. Il ne connaît pas les berges des fleuve, il ignore le délabrement, la rusticité,  la lugubre ambiance de certaines rues pauvres. Il vient d’un pays de soleil et c’est le hasard qui lui a fait hier, rencontrer une fille de l’eau.

    Il s’approche de la porte aux brise-vues fermées. Pas de lumière.Il s’étonne : pourquoi ici ? N’y avait-il aucun autre établissement un peu coquet sur ce Quai des Brumes glacé ? Il tourne la poignée. La porte s’ouvre. Malgré lui, il sent battre son cœur. Où est-elle ?

    A tâtons, il cherche un interrupteur. Et dans la pâle clarté de la lampe, il les aperçoit : Paul couché par terre, le visage dans ses bras croisés, hoquetant de sanglots.

    Et Odile, pimpante dans sa robe bleue à volants, renversée sur un fauteuil, le regard étonné.

    Un couteau dans le cœur. Morte.

LORRAINE

Illustration: Badplayer.free.fr

halage___Badplayer

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Commentaires
L
Oui, tu situes bien l'époque, et ce malheureux "faits divers" s'est presque déroulé de cette façon. Mais la fin ne fut pas si tragique, heureusement! la jeune fiulle fut sauvée.
L
je l'ai lue d'une traite, cette petite nouvelle noire des années 20-30 (l'atmosphère de la situation me fait dire que l'intrigue se déroule dans ces années là ), haletant, ne voulant pas croire à la triste fin d'une existence courte, et déjà, sans doute, malheureuse...<br /> j'ai aimé, vraiment.
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