LE PAYS DU PERE NOEL
Nous filons sur les nuages, dans un irréel ouaté, rebondi, gris et doux. Le traîneau avance tout seul, le Père Noël a lâché les brides et se tourne vers Milord :
- Alors, content ?
- Je ne vous cacherai point, Seigneur, combien votre invitation m’agrée. Tudieu, désormais je croiserai le fer pour vous défendre, si un quelconque gredin osait vous attaquer. Foi de gentilhomme !
Non ! Tantôt Milord parlait, soit ! Maintenant il est pédant, il a rétrogradé de deux siècles au moins, et (je n’en crois pas mes yeux !) il fait des petites manières, la patte négligemment allongée devant lui, l’autre accoudée au dossier. D’où vient cette lubie vaguement aristocratique ?
- Chère enfant, ne vous inquiétez pas, dans mon pays ils sont tous comme cela.
- Qui ?
- Les chats, voyons ! Ils sont éduqués naturellement, très vieille France, quand ils se croisent ils se saluent, certains même ont un tricorne. Et de leur escarcelle bien garnie, ils retirent le louis d’or pour les souris qui sont de petites gens...
La chère enfant commence à s’inquiéter ! Père Noël a un bon sourire, mais puis-je vraiment tout à fait me fier à lui ?
- Mais bien sûr, répond-il sans que j’aie prononcé un seul mot. Je vous emmène voir mon pays. Car, vous savez, je ne travaille qu’un jour par an, le reste du temps m’appartient. Alors, comme Candide (1) , je cultive mon jardin...
Un très léger choc, nous atterrissons. Milord descend d‘un bond et m’offre galamment la patte. Le Père Noël est aussitôt entouré par une nuée de chats élégants, bavards, jouant de la pochette, s’éventant, se congratulant, certains en mousquetaires, d’autres en Muscadins, ils ont un peu mélangé les siècles mais qu’importe ! Des dames-chats se promènent sous une ombrelle, deux par deux ; une autre se poudre le minois, en voici une qui ajuste sa jolie robe blanche à fleurs roses, dont j’envie un instant la tournure.
- C’est ici que j’habite, dit le Père Noël, je recueille tous les chats errants et ils deviennent le personnage qu’ils souhaitent. J’ai un Napoléon, deux Louis XV, quelques Robespierre, Madame de Pompadour, la Princesse de Clèves...Oh ! ne vous inquiétez pas, ils font bon ménage. Et moi, de les avoir sauvés me rend si heureux !
Je balbutie :
- Père Noël, je croyais que vous étiez là pour gâter les enfants sages...
- Certes, ma belle, mais une fois l’an ! C’est très peu. Alors, je me console en aidant les animaux. Vos comprenez ?
Oui, si on veut. Je suis quand même fort ébranlée et le Père Noël demande à Milord d’aller me chercher du vin chaud. Avec de la cannelle. Et du sucre. C’est excellent pour éviter les rhumes. Et comme je dois rentrer avant minuit (ah bon !) il est temps de repartir et il fait frisquet aujourd’hui.
- Je reste ici deux ou trois jours, m’annonce Milord avec un sourire. J’ai rencontré une Bergère, ma foi...
LORRAINE
(1) "Candide" (Voltaire)