IL N'EST PAS REVENU
Il n’est pas revenu comme promis, vers 3H. Elise consulte sa montre : 5 H.10. Il est en retard. C’est la première fois. Ou alors, il téléphone.
Elle a déjà enfilé sa robe rouge à volants . Elle lui va bien, elle aime le rouge, si gai, un peu voyant peut-être mais pimpant, dansant, qui fait d’elle vaguement une gitane. Il aime ses cheveux noirs, le discret accroche-cœur sur le front et ces anneaux qu’elle porte aux oreilles. Elle enfilera ses sandales rouges au dernier moment.
Ce mois de mai 1947 est chaud, la ville resplendit de soleil et elle se penche à la fenêtre du salon. La rue est déserte. Un samedi, c’est rare. Une mouche zézayante tourbillonne et se heurte à la vitre.
Que fait-il ? Il n’a pas l’habitude de traîner, c’est un homme de parole. Et s’il avait rencontré un copain ? S’ils échangeaient quelques mots ou même prenaient un pot au comptoir d’un café, ou non, plutôt à la terrasse ?
Suis-je bête ! Jamais il ne ferait cela sans m’avertir ! Il sait trop que je m’angoisse. Il est resté au bureau cet après-midi pour faire plaisir à son patron. Il fallait terminer la maquette et relire quelques articles. Mais il sait qu’on nous attend à 7 H. chez son cousin Roger. Que c’est agaçant ! Je suis sûre que ce n’est pas sa faute… Inutile de m’énerver, il s’expliquera. Je vais jouer du piano, ça m’apaise toujours. J’aurais aimé être compositeur. Faire des sons nouveaux me tente. Mais il dit en riant que je n’y connais rien, que je devrais écrire plutôt. Il a peut-être raison . J’écris volontiers.
Mais que fait-il ? S’il n’a pas appelé dans 4 minutes, je téléphone au bureau.
- Allo, M. Beaufays ? Pardon de vous déranger. Mon mari est encore chez vous ?
-Comment ? A 3 heures, vous êtes sûr ?
- Non… Je regrette. Merci, M. Beaufays.
La tête lui tourne. Il est 5 ½ H. Marc a quitté le journal depuis plus de deux heures…
Elise s’assied, se relève. Un verre d’eau. Non, inutile de regarder dehors, il n’y est pas, d’autres gens circulent.
Elise tourne dans la chambre. Ses mains serrées lui font mal, sa gorge se déssèche, elle a peur, elle a envie de crier, elle ne pleure pas. Pourquoi pleurerait-elle ? Rien n’est arrivé. Tout s’expliquera. Il va rentrer avec son beau sourire. Il l’embrassera et à nouveau la paix descendra sur elle.
Non, toujours rien. Le téléphone est chez la voisine, elle est descendue tantôt pour appeler M. Beaufays. La voisine avait un air éploré. Que craint-elle ? Rien de grave, sûrement. Rien de grave…
On sonne. Et s’il avait oublié sa clef ? Elle vole dans les escaliers, elle ouvre vivement la porte.
- Un télégramme, Madame.
Comme une folle, elle remonte au 1er. Un étourdissement la terrasse. Elle va tomber. Machinalement ses mains se raccrochent au bord de l’évier de cuisine. A tâtons, elle ouvre le robinet, s’asperge le visage d’eau. Le pli bleu s’ouvre :
« Hôpital St Pierre. Mari blessé. Etat grave. Venez immédiatement ».
LORRAINE
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