CHANSON DES RUES
Ce vieux tout boucané nasille chaque mercredi au crépuscule, dans les mêmes rues, des chansons aussi usées que lui. Il avance à petits pas, le menton levé, prompt à saisir la piécette que lui lance une main charitable.
On ne sait à quoi il pense, il a des yeux noirs qui vous reconnaissent d’une semaine à l’autre et des mots charmants, jamais pareils, pour souhaiter du bonheur.
Sa voix n’est pas belle mais on l’aime d’évoquer des histoires tendres ou de clamer soudain à tue-tête « La Chanson des Blés d’Or » et puis de s’éteindre en de faibles mots dont l’écho n’arrive pas dans les maisons bourgeoises. Cette voix, je reste quelquefois à l’écouter, sans bouger, pour entendre jusqu’au bout le refrain d’amour.
Puis le vieux s’éloigne dans la brume du soir. Et tandis que sa silhouette clopine le long des trottoirs, un rideau se soulève, de-ci, de-là, au son des aveux machinaux qu’il chevrote encore.
LORRAINE