LA JEUNE FEMME ET SON CORPS
La consigne disait: écrire un texte au départ de cette phrase et continuer :
« J’ai vu cet après -midi, en plein soleil, une jeune femme qui attendait le tramway en compagnie de son corps »...
Son corps portait un chapeau de feutre incliné sur l’œil. Un chapeau rouge un peu mécontent. Il voulait être bleu.
Mais la jeune femme qui attendait le tramway dit à son corps : «Je préfère le rouge, tais-toi donc, tu m’empêche de penser ».
Penser ! se dit le corps, depuis quand pense-t-elle ? Il s’adressait la main tendue vers un quidam, qui la prit en s’écriant :
-Mais c’est toi, Madeleine, je ne t’avais pas reconnue sous ce chapeau rouge.
Il serrait la main avec effusion. Une mains, c’est la prolongation de la pensée, tout le monde le sait ; La main répondit donc :
- Le chapeau rouge convient à mes yeux noirs. Ose dire le contraire ?
Le quidam n’osait pas. Il changea de conversation :
- Ainsi, tu promènes ton corps ?
- Eh oui ! il était un peu maussade ce matin, je lui change les idées.
Le corps ne dit rien et haussa les épaules ; Le chapeau rouge s’impatientait : allait-on oui ou non prendre le tram 33 ? La jeune femme le remit en place d’une chiquenaude .
Le tram arrivait au loin. Madeleine et son corps grimpèrent sur la plate-forme. Et le chapeau rouge s’envola dans un éclat de rire, tout là-haut, comme un cerf-volant.
LORRAINE
"Dame en rouge - 1920" - www.kunstbruerwing.de