SAMEDI
Samedi, tu t’éveilles au bout de la semaine et déjà en ouvrant les yeux, je sais que tu es là. Je te reconnais depuis si longtemps ! Nous avons travaillé ensemble à l’époque où tu retroussais tes manches comme les autres jours.
Pourtant, tu avais déjà un petit air de fête ; au lieu de terminer au bureau à 6 H., nous terminions à 5 H. et nous filions au cinéma , en pleine ville, déjà animée d’autres « libérés » qui sans doute comme moi, ressentaient un peu de gaîté dans l’air. Nous ne savions pas ce qu’était un week-end, on n’employait pas ce mot qui ne devint familier que lorsque qu’un édit quelconque, te raccourcit de moitié, Samedi. La « semaine anglaise » était née. Désormais, et pendant pas mal d’années, nous cessions le travail à midi. Je me souviens de cette respiration de plaisir, de l’élan qui nous poussait tous à orner cette demi-journée acquise de rencontres, de visites, d’amitié. C’étaient des vacances inopinées que tu nous offrais, et nous les goûtions à leur juste valeur.
Et puis le vrai week-end s’installa : congé samedi et dimanche, enfants compris. Des idées de liberté envahirent la population ; ce fut la fureur des « fermettes » achetées ou louées à la campagne, l’exil pendant deux jours avec armes et bagages dans un lieu (souvent trop éloigné) où on souhaitait se ressourcer, vivre en plein air, recevoir des amis…et astiquer cette seconde résidence comme on astiquait la première. Beaucoup ont succombé à la tentation. Beaucoup en sont revenus, constatant qu’en fin de compte ils avaient le double de boulot.
Tu
n’as plus la même auréole qu’autrefois, Samedi. Tu es le jour des courses, le
laps de temps gagné pour terminer d’autres tâches, personnelles cette fois et
non plus professionnelles. Chacun te vit à sa mode et c’est bien. Pour moi, tu
as gardé une petite fleur à ton chapeau de paille, parce que tu me reportes à
ma jeunesse et c’est pourquoi je t’accueille toujours avec un brin d’émotion,
en souvenir de ce que nous fûmes, toi et moi, Samedi !
LORRAINE