JEUNESSE
J’aimais revenir dans la vieille auberge où nous nous retrouvions autrefois à l’ombre des rideaux de cretonne, tandis que le jardin enneigé s’étoilait sous les pattes impertinentes d’un moineau. Le chat noir nous connaissait bien ; ses yeux d’ambre reflétaient l’âtre, il tournait lentement vers nous un regard absent puis se replongeait dans ses rêveries profondes que seul troublait soudain le fumet des cuisines.
Nous n’y retournerons plus, l’auberge va être détruite et sous ses pierres écroulées que de souvenirs s’enseveliront, les nôtres et ceux de tant d’amants, tant d’amis qui venaient ici échanger leurs serments ou leur sympathie.
Quand la dernière pierre s’effondrera, sentirons-nous au cœur une blessure délicate par où s’échappera le souvenir de notre jeunesse ? O cruauté des choses auxquelles nous nous attachons ! Nous mettons de l’amour dans la panse d’une urne, nous trouvons un sourire dans un miroir éteint et les étranges rondes sculptées dans les murs nous entrainent vers les chimères. Puis tout se meurt.
Et nous restons devant ce vide, dépouillés d’un trésor qu’on ne soupçonnait pas si lourd, avec le sentiment d’avoir beaucoup souffert.
LORRAINE
Photo du Vieux Bruxelles