LA SAISON DE L'OUBLI
Lieu imposé: Le chemin de halage sur lequel une silhouette (fille ou garçon) court. Un témoin est le narrateur de ce qu'il voit ou éprouve.
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C’est l’été. Les
peupliers du chemin de halage éclaboussent le canal de leur vertige vert. Sur
l’autre berge, assis dans l’herbe sous mon chapeau de paille, je suis le vieil
homme quotidien , qui s’en vient tuer le temps. Ici, il fait calme. Quelquefois
du haut d'un chaland , lourd, tranquille, on me fait « Bonjour », un signe de
main, un sourire vague, le chaland passe, il est passé..
Le chemin de halage
la happe, semble la tirer comme on tire un fardeau, le garçon s’est retourné,
elle écarte très haut ses bras frêles, , agite comme des oiseaux ses petites
mains vides.
Il pédale. Et, j’en
jurerais, elle pleure. Il fuit, il s’enfuit, c’est évident, je le vois à son
allure qui s’accélère et à la pauvrette qui brusquement, s’arrête, désemparée,
désespérée, peut-être ?
Je voudrais lui dire
que le chagrin ira en s’étiolant, que les larmes perdues ne le feront pas
revenir. J’ai fui ainsi, autrefois, sans un mot. J’ai laissé une femme belle et
sensible, assez fière pour ne pas m’assaillir ensuite de vains appels. J’étais
jeune, j’avais peur de son ascendant, de sa gaîté, de sa force. Plus tard, six
ans après, je suis revenu. Elle était plus épanouie encore, elle m’a regardée
avec une indifférence qui m’a pétrifié. Moi, je portais son souvenir. Elle,
m’avait banni à jamais.
De l’autre côté du
canal, la jeune fille a fait demi-tour. Pour elle commence la saison de
l’oubli.
LORRAINE