BENEDICTE
Ca fait huit jours exactement que j’habite la maison bleue. Elle me plaît. Ses volets, le matin si calme et le ruisseau au bas du ravin conviennent à ma solitude. Je suis un garçon sans histoire qui peint par plaisir et vend assez pour vivre.
Cette nuit, je m’éveille en sursaut. Dans la chambre, une voix chuchote : « Bénédicte, reviens Bénédicte »…J’allume. Personne. Encore un de ces rêves bizarres comme j’en fais quelquefois. Je me rendors. Le grand jour me sort du lit. Tiens, la porte est entrebaillée et un léger courant d’air m’effleure comme une caresse. J’aurais oublié de fermer à clef ?
Je peins. Une jeune fille en bleu, assise au bord du ruisseau. Elle tient à la main un bouquet de roses. J’aime peindre parfois sans modèle, en imagination, en quelque sorte. Elle se dessine sous mes doigts, si belle mais l’air grave. Je lui parle, je l’appelle « Bénédicte ». Je reste trois jours en tête-à-tête avec elle, trois jours enfermé dans l’atelier. Voilà, elle est définitive, vivante, prête à sortir de la toile. Mais c’est moi qui sors, j’ai besoin de respirer après cette frénésie créative.
Je descends vers le village. Un attroupement, j’approche. La maréchaussée écarte la foule, j’entends : « Oui, c’est elle". "Elle", ce visage que j’ai peint, ses cheveux blonds, sa robe bleue, elle couchée dans le ruisseau, morte. « Bénédicte ! » hurle un garçon désespéré.
On a trouvé mon nom, mon adresse griffonnés sur un papier dans la poche de Bénédicte. Je ne l’avais jamais vue, je ne la connaissais pas. Demain, on va me juger pour meurtre.
LORRAINE