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ECLATS DE PAROLES
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ECLATS DE PAROLES
7 janvier 2009

LE PHARE FANTOME...

    J’ai encore oublié d’éteindre la lumière...

     Le phare projette ses faisceaux tournants sur l’océan qui meugle, qui rugit, qui n’en finit pas d’hurler et d’hurler encore.  Je n’entends plus que  son incessante lamentation, j’essaie de me boucher les oreilles, mais non. Mes mains sont impuissantes à calmer le vacarme ; même tout en haut du phare, calfeutré entre 300px_Phare_de_Saint_Mathieules parois humides, les vociférations et les cris me lacèrent la tête .

     Ils veulent que j’entende, ils savent que j’entends... Cela fait des semaines qu’ils me poursuivent de leurs clameurs. Cela fait des semaines que j’essaie  d’être sourd, de ne pas comprendre.. Quand c’est mon tour de regagner la terre, quand le bateau m’emmène jusqu’au rivage, ils se taisent. Leur silence soudain m’épouvante, il  m’interpelle autant que leurs appels déchirants, j’ai l’impression qu’ils me reprochent mon indifférence , qu’ils soulignent mon manque de cœur, ma cruauté, disons-le tout net !  Et je souffre. Personne ne sait comme je souffre.  Au point que ce soir...

     Je connais bien la machinerie . Voilà quatorze ans que je dirige la mer depuis le haut du phare, quatorze ans que les bateaux obéissent aux signaux lumineux, passent leur chemin, continuent vers leur destination, accostent. Quatorze ans...Et quelques semaines seulement que le chœur des naufragés est monté vers moi, du fond des abîmes, un chœur antique de milliers d’années, qui gémit et se plaint mais aussi un chœur qui revendique.  Leur harcèlement me prend à la gorge, j’entends la mêlée des pirates noyés, des marins perdus à jamais, des matelots en béret blanc et des seigneurs en damas rouge ; ils sont des centaines, ils sont innombrables, ils sont menaçants...

     Je connais bien la machinerie...Alors, ce soir, tant pis pour les bateaux !  J’éteindrai la lumière...

     Et ils pourront sortir de l’eau, triompher de leurs ténèbres, chanter la joie de renaître, les fantômes blafards, les ombres défuntes,  les échevelés et les rasés, les fillettes meurtries et les matrones engoncées, les hommes du Moyen-Age et les récents suicidés. Tous.

     Car, grâce à moi, ils retrouveront la nuit sur l’océan, la nuit infinie noire et déserte, qui permet aux ossements de revivre et je connaitrai enfin la paix, la bienheureuse paix. Et le silence...

LORRAINE

Illustration: Phare S Mathieu (Bretagne) photo Wikipedia Common

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Commentaires
L
...me touche venant de toi Fabelli, qui conte et raconte si bien! Merci!
L
en effet, le pauvre homme! Il s'aveugle au point qu'en éteignant il condamne des vivants et ne s'en rends pas compte!
F
Oh! Je me suis laissée emportée par ton histoire. Tout est fait pour retenir le lecteur. Bravo!
L
les hurlements des éléments font divaguer...<br /> et font penser à des appels, semblables à ceux des âmes perdues.<br /> ton style est épuré, tu sais faire naître et maintenir le plaisir de la lecture.
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