LE NOIR QUART D'HEURE
Il est derrière le carreau, le crépuscule. Il me nargue. Il fait des effets de manches, cligne de l’œil, semble s’assoupir, invente un chapeau de sorcière pour la cheminé d’en face, orchestre le chant psalmodié du vent dans la cheminée, et m’épuise !
C’est bien le « noir quart d’heure » comme l’appellent les vieilles dames de Flandre, sans doute parce que la mer du Nord y ajoute son roulement de vagues qui s’enténèbrent.
Ce moment entre chien et loup me déstabilise toujours. Je ne veux plus le voir, je cours fermer les rideaux, je le nie, je le repousse de tout mon malaise. Mais s’il me surprend dans la rue ou dans un chemin de campagne, dites-moi pourquoi je l’accueille comme un ami ? Nous allons ensemble changer le paysage, adoucir l’angle des maisons ; il saupoudre d’un peu de mystère les magasins trop allumés, il encapuchonne les parterres du rond-point et pose une touche de brume sur l’horloge de l’Hôtel de Ville. Prélude du soir,il hésite à quitter le jour et ses ombres effleurent les passants pressés.
Le noir quart d’heure ne s’éternise pas. Il a quinze minutes pour escamoter le jour et introduire la nuit. Il est un peu magicien. Un magicien dont le pouvoir me désarçonne, lui qui tour à tour m’enchante ou m’accable selon l’endroit où il me surprend. Si vous savez pourquoi, dites-le-moi !
LORRAINE